Agir sur notre conscience pour mieux nous soigner
Et si nous pouvions moduler notre niveau de conscience pour lutter contre la douleur, soulager des souvenirs traumatisants ou tout simplement nous aider à nous sentir mieux ? Des approches comme l’hypnose, l’EMDR ou la méditation utilisent déjà cette possibilité avec succès. Et dans le même temps, les neurosciences essayent de comprendre les mécanismes à l’œuvre.
Qu’est-ce que la conscience ?
La conscience est longtemps restée une question philosophique avant d’intéresser les scientifiques. C’est dans les années 1990, avec l’apparition des techniques d’imagerie cérébrale, que ces derniers ont pu essayer de mieux comprendre son fonctionnement. Mais qu’appelle-t-on « conscience » au juste ? Il n’existe pas, à l’heure actuelle de définition unique et consensuelle.
« C’est une notion intuitive que nous utilisons dans la vie quotidienne pour décrire nos états mentaux, considère Claire Sergent, professeure de neurosciences cognitives à l’université Paris-Cité et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Elle regroupe l’état de conscience, le fait d’être en phase d’éveil ou de sommeil par exemple, et le contenu conscient, le fait d’avoir conscience de telle ou telle information comme d’un son par exemple ».
Une conscience fluctuante
Notre niveau de conscience varie au cours de la journée. « Nous connaissons des fluctuations de vigilance, sans pour autant perdre conscience, par exemple quand, après le déjeuner, nous sommes au ralenti et que nous avons envie de faire une sieste », constate Catherine Tallon-Baudry, chercheuse en neurosciences au CNRS, au laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles de l’École normale supérieure.
Nous ne sommes par ailleurs pas conscients, en permanence, de la totalité de notre environnement. « Une grande quantité d’informations est traitée de manière non consciente par notre cerveau, explique Claire Sergent. Notre système attentionnel fait le tri entre les informations qui nous entourent. Il les sélectionne sur la base de leur pertinence – un bruit très fort va par exemple, nous alerter – et de nos buts actuels, de nos objectifs – si nous sommes concentrés sur une tâche, nous n’allons pas faire attention au brouhaha qui nous entoure. »
Notre histoire peut aussi influer sur notre conscience. « Si vous avez eu une mauvaise expérience avec un chien, le fait d’en voir un dans la rue ou d’entendre un aboiement, va vous alerter, éveiller votre conscience, alors qu’une autre personne ne l’aurait peut-être pas remarqué », illustre Claire Sergent.
Enfin, des facteurs externes peuvent moduler notre conscience. C’est le cas des moyens chimiques, comme l’anesthésie ou les psychédéliques.
Tenter de mesurer la conscience
Pour mesurer notre état de conscience, les chercheurs utilisent à la fois une approche expérimentale – en interrogeant les patients sur leurs sensations – et la neuroimagerie pour observer l’activité cérébrale. « La conscience est un état subjectif, ressenti de l’intérieur, dont on cherche des indicateurs objectifs dans le cerveau », résume Catherine Tallon-Baudry.
C’est ainsi que l’on a pu commencer à comprendre comment la conscience émerge. « Schématiquement, le traitement non conscient de l’information suit, ce que l’on pourrait appeler des routes automatiques, des chemins définis, stéréotypés, indique Claire Sergent. En revanche, lors d’un traitement conscient, l’information suit d’abord les routes automatiques puis quelques instants plus tard, va sortir des sentiers balisés et se propager dans le cerveau pour aller vers l’aire du langage qui permet de décrire ce que l’on voit ou encore vers l’hippocampe qui gère le souvenir. C’est ce que l’on appelle la théorie de l’espace de travail global. »
Catherine Tallon-Baudry, elle, s’intéresse au lien entre conscience et communication entre le cerveau, le cœur et l’estomac. Pour cela, elle enregistre l’activité de ces organes avec des électrodes tout en mesurant l’activité cérébrale. « Grâce à cela, nous montrons que la façon dont le cerveau communique avec les viscères interagit avec la manière dont celui-ci traite les informations du monde extérieur et même ses propres pensées, précise-t-elle. Le cerveau et le corps sont nécessaires pour être conscient même si le cerveau en est à l’origine. »
Des impacts concrets et des questions éthiques
Arriver à déterminer les indicateurs et les mécanismes communs est capital pour mieux diagnostiquer les patients dont on n’arrive pas à connaître l’état de conscience.
Actuellement, il est en effet très difficile de savoir si certains malades qui viennent de sortir d’un coma sont conscients mais qu’ils n’arrivent pas à l’exprimer ou s’ils ne le sont pas. Il n’existe pas encore de test simple qui permette de s’en assurer. « Identifier des signaux objectifs nous permettra de déterminer si un patient est en état végétatif ou s’il a conscience de lui-même ou de son environnement », ajoute Claire Sergent.
Ces recherches auront aussi un impact sur notre quotidien. Certaines sont par exemple menées sur la conscience des animaux. « Si l’on détermine que les animaux d’élevage en ont une, cela aura un effet direct sur la manière dont nous les abattons », illustre Catherine Tallon-Baudry. Même si, pour Claire Sergent, « ils sont très certainement conscients mais d’une manière différente de la nôtre car notre langage et notre capacité d’autonarration ajoutent une dimension très particulière à la conscience humaine ». « Les travaux théoriques sur la conscience vont soulever des questions éthiques, estime Catherine Tallon-Baudry. Le domaine ayant un champ applicatif énorme, il sera important d’ouvrir le débat avec la société au fil des recherches. »
Des approches thérapeutiques permettent d’ores et déjà d’utiliser les potentiels de la conscience (l’EMDR, l’hypnose et la méditation cherchent à la moduler pour nous soigner) en attendant de réussir à décrypter tous ses secrets…
Dossier rédigé par Léa Vandeputte / © C I E M
EMDR : des mouvements oculaires qui influent sur la conscience
Parmi les techniques qui utilisent la modulation de la conscience du patient, l’EMDR (pour Eye Movement Desensitization and Reprocessing ou désensibilisation et retraitement par mouvements oculaires) permet de soulager la souffrance liée à des expériences de vies douloureuses ou traumatisantes. « C’est une forme de psychothérapie qui permet de stimuler les capacités d’autoguérison du patient et de l’aider à gérer les émotions », explique Florent Léonard, psychologue et membre de l’association EMDR France.
Concrètement, une séance d’EMDR débute par un entretien préliminaire. Celui-ci permet d’échanger avec le patient et d’identifier la problématique avant d’enclencher le traitement. Des simulations bilatérales alternées – le fait de suivre un objet du regard de gauche à droite – sont pratiquées. « Par les mouvements oculaires, nous reproduisons ce qu’il se passe pendant le sommeil paradoxal, précise le psychologue. Cette phase, pendant laquelle les yeux bougent, permet de traiter et d’assimiler les évènements stressants de la journée. Mais dans le cas de l’EMDR, il s’agit d’un processus conscient. Nous demandons au patient de se concentrer sur son souvenir traumatique et d’observer ce qu’il se passe dans son corps et dans sa tête. Au fil des stimulations, le souvenir est mis à distance, il ne génère plus de perturbations. »
Discipline relativement récente, l’EMDR a été découverte de manière fortuite, en 1987, par une psychologue américaine : Francine Shapiro. « Installée dans un parc et en proie à une émotion désagréable, elle se rend compte qu’elle se sent un peu mieux après avoir bougé ses yeux de droite à gauche, raconte Florent Léonard. Elle va ensuite tester son intuition et étudier l’effet du balayage oculaire sur des vétérans de la guerre du Vietnam. » L’EDMR est née.
Cette technique peut paraître surprenante mais elle n’en demeure pas moins efficace. Pour preuve, l’EMDR est une psychothérapie recommandée dans le traitement du trouble de stress post-traumatique (TSPT) par la Haute Autorité de santé (HAS) et par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Aujourd’hui, l’EMDR a un champ d’application plus large, constate le psychologue. Elle peut prendre en charge les évènements de vie difficiles à vivre (rupture, licenciement, deuils, échecs…) ainsi que les addictions ou les douleurs somatiques par exemple. »
Pour trouver un praticien accrédité EMDR Europe, rendez-vous sur l’annuaire du site Emdr-France.org.
Méditer pour prendre conscience
La méditation induit un état de conscience modifié. Pour l’atteindre, les pratiquants doivent alors focaliser leur attention sur un objet différent selon la technique utilisée : la respiration, une sensation corporelle, un son… La plus connue et la plus étudiée par les scientifiques est la méditation de pleine conscience conçue dans les années 1970. Et ses bénéfices semblent nombreux : elle permettrait de modifier notre rapport à la douleur et elle pourrait avoir un impact significatif sur différents troubles comme la dépression, l’anxiété ou les addictions. La pratique de la méditation pourrait aussi préserver les fonctions cérébrales du déclin lié à l’âge, en faisant ainsi une alliée du bien vieillir*.
Pour méditer, il suffit, à tout moment de la journée, de prendre un instant pour porter son attention sur l’instant présent et de se concentrer sur sa respiration quelques minutes, sans laisser son esprit s’évader. Réalisez ce petit exercice régulièrement et vous en retirerez de nombreux bienfaits. Pour aller plus loin, vous pouvez vous appuyer sur des applications, des podcasts ou des livres. Vous pouvez aussi vous renseigner auprès de l’Association pour le développement de la Mindfulness, association-mindfulness.org.
*Source : « Conscience, la moduler pour mieux soigner », Inserm, Le Magazine, n° 54.
Trois questions au… Professeur Vianney Descroix
Chirurgien-dentiste, doyen de l’unité de formation et de recherche (UFR) d’odontologie à l’université Paris Cité. Il est membre des comités pédagogique et scientifique de l’Institut français d’hypnose (IFH).
Qu’est-ce que l’état hypnotique ?
L’état hypnotique est bien spécifique. Il est différent du sommeil ou du rêve. C’est un état de conscience modifié : la personne connaît une concentration très intense.
Contrairement à ce que l’on croit souvent, le cerveau travaille beaucoup pendant l’état hypnotique. Le cortex visuel et le cortex préfrontal – qui est le siège de nombreuses fonctions cognitives comme le langage, la mémoire de travail, le raisonnement… – sont particulièrement actifs. Certaines zones du cerveau sont sollicitées pendant l’état hypnotique alors qu’elles ne le sont pas habituellement. Le cerveau a donc une capacité de fonctionnement plus importante, ce qui induit une conscience élargie de ce qui nous arrive.
À l’inverse et cela est très paradoxal, le corps, lui, connaît un grand relâchement. Les patients décrivent une sensation de détente.
Comment se déroule une séance ?
Tout le monde est hypnotisable mais si vous n’avez pas envie d’essayer, cela ne fonctionnera pas. Il faut donc avoir une relation de confiance avec un professionnel de santé qui est formé à cette technique. Celui-ci va prendre le temps de discuter avec vous et progressivement, il va vous emmener dans un état hypnotique. Il va vous proposer de vous focaliser sur un lieu ou un moment agréable, comme une après-midi sur la plage.
L’objectif pour un chirurgien-dentiste qui pratique l’hypnose, par exemple, est de réaliser des soins dentaires sous anesthésie locale tout en vous aidant à mieux les vivre, à être moins anxieux, plus détendu.
Quelles sont les applications thérapeutiques actuelles et à venir de l’hypnose ?
Aujourd’hui, l’utilisation de l’hypnose est validée scientifiquement dans le cadre de nombreux soins, notamment des soins infirmiers, comme une prise de sang. Elle est également pratiquée au bloc opératoire ou encore pour lutter contre les douleurs chroniques comme celles causées par la colopathie fonctionnelle [appelée aussi syndrome de l’intestin irritable, NDLR]. Des travaux sont aussi en cours pour mesurer son efficacité sur la prise en charge des troubles du sommeil, du comportement alimentaire ou encore psychiatriques.
L’hypnose fait partie des médecines intégratives et complémentaires et, à ce titre, elle participe au bien-être des patients en association avec la médecine conventionnelle.
Pour trouver un professionnel de santé formé à l’hypnose, rendez-vous sur l’annuaire en ligne de l’IFH, sur Hypnose.fr/annuaire-therapeutes.