© Institut Rafaël

Alain Toledano : « La médecine doit repositionner le patient au centre »

Spécialiste du cancer, le docteur Alain Toledano défend une médecine plus focalisée sur le malade que sur la maladie. Il milite pour une prise en charge globale des patients tant sur le plan physique, mental que du bien-être. C’est ce qu’il appelle la santé intégrative ; une nouvelle manière de pratiquer la médecine qu’il met en œuvre au sein de l’Institut Rafaël qu’il a fondé en 2018 et qu’il présente dans son livre L’art de soigner* (Humensciences).

Alain Toledano est cancérologue-radiothérapeute. Il est directeur du centre de cancérologie Hartmann et a fondé l’Institut Rafaël à Levallois-Perret (92). Il dirige également la Chaire de recherche en santé intégrative au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).

Vous expliquez dans votre livre que le temps d’écoute accordé par un médecin à son patient avant de lui couper la parole est de 23 secondes. Quelles en sont les conséquences ?

C’est un chiffre marquant, en effet. Le médecin coupe la parole en moyenne au bout de 23 secondes alors que l’on sait qu’il faut environ 90 secondes pour exprimer une émotion simple. Ce manque d’écoute fait que le patient peut ne pas se sentir en confiance, avoir l’impression de ne pas être écouté voire d’être mis de côté, ce qui fait naître une frustration. Dans ce cadre, il n’y a pas assez d’échanges. La médecine est aujourd’hui tournée autour de la maladie au lieu de se centrer sur le malade.

Cela a-t-il un impact sur le diagnostic ?

Oui et non.Le médecin dispose de toute une somme d’informations issues des analyses, de l’examen clinique, etc. pour poser son diagnostic. Mais s’il ne prend pas le temps d’écouter le patient, il peut passer à côté de certains points. Il ne pourra pas prendre la mesure de la souffrance du patient pour pouvoir l’alléger par exemple. Pourtant, c’est aussi une composante de la santé. Le fait d’être en bonne santé ne signifie pas uniquement ne pas être malade mais se compose de la santé psychologique, émotionnelle, environnementale, sexuelle, sociale… Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la santé se définit d’ailleurs comme un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Ce sont toutes ces dimensions qu’il faut donc prendre en considération.

Est-ce cela la santé intégrative que vous promouvez ?

Tout à fait. Il s’agit d’intégrer les différentes dimensions de la santé, parce qu’avec le développement des expertises et des savoirs, la médecine a tendance à cloisonner : chacun travaille dans son coin, alors qu’il est essentiel de se coordonner pour proposer une prise en charge plus globale. Il faut aussi intégrer d’autres acteurs qui pratiquent des interventions non médicamenteuses comme les sophrologues, les psychologues, les diététiciens, les professeurs d’activité physique… Il est important d’allier la médecine conventionnelle et les médecines complémentaires. Nous devons repositionner le patient au centre et l’accompagner tout au long de son parcours. L’idée, c’est de considérer la maladie et de la traiter, bien sûr, mais aussi de considérer le malade.

Dans votre livre, vous insistez aussi sur l’importance de la prévention. Pourquoi faut-il la développer ?

Il y a 400 millions de consultations médicales chaque année en France, dont 50 % sont dédiées à la gestion des symptômes d’une maladie chronique. Dans 90 % des cas, le médecin prescrit des médicaments à son patient alors qu’une boîte sur deux termine à la poubelle. De même, l’espérance de vie augmente mais l’espérance de vie en bonne santé, elle, doit être améliorée. Nous savons que 40 % des cancers et 80 % des maladies cardiovasculaires sont évitables et qu’il faut mettre les moyens dans la lutte contre le tabac ou l’alcool, dans l’encouragement de l’activité physique ou dans l’adoption d’une alimentation équilibrée. Mais pour l’instant, c’est moins de 3 % des budgets qui sont consacrés à la prévention. C’est un champ dans lequel il faut investir car les études précisent qu’en diminuant de près de 30 % la mortalité prématurée – c’est-à-dire avant 70 ans – nous pourrions gagner 10 % de produit intérieur brut (PIB) en 10 ans. C’est tout à fait réalisable, mais c’est toute une nouvelle culture qu’il faut mettre en œuvre.

Vous avez créé l’Institut Rafaël, une maison de l’après cancer à Levallois-Perret (92), où vous pratiquez la médecine « intégrative ». Comment fonctionne-t-il ?

Rafaël (ou Raphaël) est l’ange de la guérison. Nous avons décidé, avec une équipe de soignants, de coconstruire avec chaque patient des parcours d’accompagnement qui allient médecine conventionnelle et approches non médicamenteuses, que nous évaluons au fur et à mesure. Le but est de passer d’une médecine qui s’intéresse à la maladie à une médecine qui s’intéresse à l’individu et à son projet de vie. Nous avons 85 acteurs paramédicaux, qui représentent environ 40 disciplines, pour mener à bien ces programmes. En trois ans et demi d’existence, nous avons offert 50 000 soins à 3 400 nouveaux patients. Nous prenons en charge environ 600 patients simultanément qui suivent des parcours plus ou moins longs en fonction de leurs besoins.

Qui sont les patients que vous prenez en charge ?

Au départ, l’institut était dédié à l’après cancer, mais petit à petit, nous nous ouvrons aussi à la prise en charge de malades chroniques. Nous avons également des programmes dédiés aux aidants ou encore aux enfants qui ont des parents malades.

Quel est le modèle de financement de l’institut ?

Nous offrons gratuitement les soins aux patients pour qu’il n’y ait pas d’exclus. Il est important que chacun puisse bénéficier de la solidarité dans les phases de vie difficiles. Nous avons d’ailleurs de la chance en France d’avoir un système solidaire et accessible à tous. Grâce à lui, on peut rembourser pendant 20 ans un antidépresseur, mais malheureusement pas encore une séance chez le psychologue. Pour financer l’accueil des patients, nous faisons appel au mécénat (des particuliers et des entreprises) et aux campagnes de financement.

En dehors de la parution de votre livre, comment diffusez-vous votre méthode de prise en charge et d’accompagnement ?

Nous la diffusons, du côté académique, à travers la Chaire de recherche en santé intégrative du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) que je dirige. Nous voulons démontrer que notre modèle est bénéfique, maintenant que nous commençons à avoir des résultats et une création de valeur. Nous espérons que nous pourrons intégrer plus largement ces parcours de santé dans l’accompagnement des malades chroniques. La santé en France représente 260 milliards d’euros ; c’est une grande partie de notre richesse. Nous avons 3 000 hôpitaux, 1 million d’infirmiers et d’aides-soignants qui font face à une crise de sens. Les patients sont souvent mécontents, frustrés. Il y a une rigidité aussi au niveau de l’organisation et des tensions financières. Pour pérenniser notre système de santé, nous pensons qu’il va falloir changer de doctrine, arrêter de se focaliser uniquement sur l’investissement dans les structures hospitalières, mais plutôt privilégier la prévention, la réhabilitation et surtout une médecine centrée sur l’humain et plus seulement sur la maladie.

© C i E M / Propos recueillis par Léa Vandeputte

*L’art de soigner, d’Alain Toledano, éditions Humensciences, 176 pages.