© Émilie Corbinéa

Antoine Pelissolo : « L’anxiété sociale se définit principalement par la peur du jugement de l’autre »

Psychiatre, Antoine Pelissolo est chef de service au CHU Henri-Mondor à Créteil et professeur de médecine à l’université Paris-Est Créteil.

Le jugement des autres nous importe tous. Mais quand celui-ci devient si présent qu’il affecte profondément notre quotidien, on parle d’anxiété, voire de phobie sociale. Explications du Pr Antoine Pelissolo, coauteur de l’édition actualisée de La nouvelle peur des autres : trac, timidité et phobie sociale.

Qu’est-ce que l’anxiété sociale ?

L’anxiété sociale se définit principalement par la peur du jugement de l’autre. Les personnes qui en souffrent craignent de donner une mauvaise image d’elles-mêmes. Cette peur s’exprime à différents degrés ; la phobie désignera une forme plus sévère. Cela peut concerner un complexe physique, la peur de montrer ses émotions ou la crainte de ne pas être intéressant, avec toujours cette peur d’être rejeté. Même si la plupart des anxieux parviennent à se faire violence, cela constitue une réelle souffrance qui influe directement sur leur vie sociale, professionnelle et sentimentale.

À quel moment la timidité devient-elle pathologique ?

Là où, avant un examen, à l’oral par exemple, le trac est chose courante, l’anxiété sociale se caractérise par une angoisse plus forte et plus étendue. Elle se manifeste très tôt, parfois plusieurs semaines avant le jour J. Puis, pendant l’exposé, la personne ne parvient pas à se contrôler, et plutôt que d’être dans son sujet, elle interprète en permanence ce qu’elle croit être un jugement de son public, tout en craignant de révéler des signes de stress (tremblement, rougeur). Enfin, une fois l’échéance passée, elle continue à ruminer considérant avoir donné une image honteuse d’elle-même. Concrètement, la timidité est pathologique quand elle devient douloureuse pour l’individu, pouvant l’amener à renoncer à certains projets ou à refuser un travail. Certaines personnes peuvent même tomber en dépression ou dans l’alcool.

Pourquoi était-il nécessaire de rééditer cet ouvrage, paru en 1995 ?

Cette mise à jour nous a semblé importante parce que notre environnement social et relationnel a changé, et avec eux nos rapports aux autres et les craintes qui en découlent. Face au progrès de la recherche, il fallait aussi actualiser certaines informations, notamment en ce qui concerne les traitements proposés. Cette nouvelle publication est l’occasion de parler de cette phobie. L’anxiété sociale concerne plus de 5 % de la population mais reste encore méconnue. Avec cet ouvrage, nous souhaitons sensibiliser le public, les professionnels de santé, mais aussi tous ceux qui sont en contact avec les jeunes (professeurs, éducateurs…) ; une population qui y est particulièrement sensible.

En quoi les nouvelles technologies ont-elles changé nos rapports aux autres ?

Pendant la pandémie, les échanges par écrans interposés ont eu tendance à faciliter le premier contact et les prises de paroles chez les personnes souffrant de phobie sociale. Tout comme le port du masque s’est avéré être d’une grande aide pour ceux qui, par stress, redoutent de rougir (on appelle cela l’éreutophobie). Mais les écrans peuvent aussi être néfastes lorsqu’ils sont utilisés pour fuir les rapports réels. Les réseaux sociaux ont également amplifié ce phénomène de phobie sociale. Les rapports sont plus tendus, une tension qui déteint dans la vraie vie, on le voit notamment avec la question du harcèlement. Dans le monde du travail aussi les choses évoluent : on nous demande d’être performant à l’oral et d’avoir confiance en soi. Nous sommes dans une société d’image, et ces exigences sont plus difficiles à vivre pour les personnes qui souffrent d’anxiété sociale.

Quelles sont les situations les plus difficiles à vivre pour les personnes souffrant d‘anxiété ?

Il y a d’abord les situations dites formelles qui font intervenir un vrai public (conférences, examens à l’oral). Elles sont particulièrement difficiles car l’orateur est obligé d’être face à un public sans connaître instantanément son appréciation. Il y a également certaines scènes de la vie quotidienne, (soirée, mariage) où il va falloir parler de soi, et des situations d’affirmation de soi qui demandent de défendre son point de vue, comme au travail. L’anxiété sociale ne concerne pas que la prise de parole, puisque certaines personnes peuvent être dérangées par le regard de l’autre, avec la difficulté par exemple de traverser une assemblée. Tous ces contextes réveillent la peur fondamentale d’être jugé et de se retrouver seul.

Quelles sont les personnes les plus touchées ?

L’anxiété sociale concerne tout le monde, mais nous identifions deux âges plus sensibles. Il y a d’abord les enfants, dès 5 ans. Cela peut être tempéramental – c’est‑à‑dire que certains enfants ont ça en eux, dans leur tempérament – mais cette tendance peut être aggravée en cas de problèmes dans la famille (jugement, violence), quand les parents sont hyperprotecteurs ou s’ils souffrent eux-mêmes d’anxiété sociale. Cette peur va aussi davantage s’imposer à l’adolescence, âge où l’enfant se distancie de ses parents. À cette période, la concurrence est rude et l’image, notamment physique, est particulièrement valorisée. À cet égard, les réseaux sociaux, qui encouragent à donner une image idéale de soi avec l’illusion d’une perfection que l’on ne peut atteindre, sont particulièrement dangereux.

Comment peut-on se libérer de cette peur des autres ?

Il faut amener le patient à se décentrer de ses émotions et de ses craintes pour se concentrer sur le contenu de son propos. C’est là tout l’objectif de la thérapie, qui consiste aussi à s’habituer à supporter le regard de l’autre. Pour y parvenir, nous encourageons la pratique d’activités artistiques (danse, théâtre) ou de sports collectifs, lorsqu’ils sont menés par des personnes bienveillantes. Le patient peut aussi s’entraîner à parler en public face à des proches ou seul, devant sa glace ou en se filmant, ce qui lui permet ensuite de poser un regard plus objectif sur sa prestation. Ce regard objectif, on l’invite d’ailleurs à l’avoir sur les autres : personne n’est parfait ! La perfection est un mythe qu’il faut casser. Les thérapies en groupe sont aussi assez efficaces car elles permettent au patient de dédramatiser. Pratiquer des exercices de relaxation et bien préparer sa prestation permettent d’évacuer le stress et de mettre en confiance. Mais l’objectif ici n’est pas de supprimer à tout prix les signes d’émotion, qui sont des expressions humaines normales, mais d’amener le patient à prendre confiance pour lui permettre d’être qui il est sans en souffrir.

De quelle manière pouvons-nous aider une personne souffrant d’anxiété sociale ?

Il faut déjà savoir que la phobie sociale existe, et c’est tout l’intérêt de ce livre. Elle est parfois banalisée, car la timidité est de fait assez répandue. Mais ici, elle gâche vraiment la vie des gens, et leur demande un effort au quotidien. Pour les aider, il faut essayer de se montrer à l’écoute sans être dans le jugement et tout faire pour mettre la personne en confiance. Une bonne chose est aussi de montrer ses propres limites, de parler de ses émotions. Nous sommes dans une société de la performance qui nous demande de cacher nos faiblesses. Et pourtant, la moitié de la population se dit timide. Alors soyons bienveillants afin que tout le monde trouve sa place dans les rapports sociaux.

© C i E M / Propos recueillis par Constance Périn

Pour en savoir plus :
La nouvelle peur des autres : trac, timidité et phobie sociale, de Christophe André, Patrick Légeron et Antoine Pelissolo, Odile Jacob, 416 pages.