© Shutterstock

Interfaces cerveau-machine :  un avenir prometteur pour la santé  

Les interfaces cerveau-machine consistent à utiliser l’activité cérébrale pour interagir avec le monde extérieur sans utiliser les muscles. Leurs applications concernent principalement les problèmes moteurs mais aussi le neurofeedback. Explications du Pr François Berger, directeur de l’unité Inserm BrandTechLab.

Lancées en 1973, les interfaces cerveau-machine (ICM) sont des systèmes de liaison directe entre un cerveau et un ordinateur qui permettent à des personnes de réaliser des actions sans avoir recours à leurs nerfs périphériques et à leurs muscles. « Le cerveau fonctionne avec de l’activité électrique et les ICM consistent à utiliser cette activité. Concrètement, les ICM reposent sur un capteur comme une électrode et un traducteur comme un algorithme, qui va ensuite permettre de transformer les données obtenues en commande pour une machine », explique le Pr François Berger, directeur de l’unité Inserm BrandTechLab, qui travaille sur les nouvelles technologies pour les pathologies cérébrales.

Comment les signaux électriques sont-ils enregistrés ?

La première étape d’une ICM consiste à enregistrer l’activité cérébrale grâce à des électrodes qui transmettent les signaux électriques émis par les neurones lorsque la personne a une pensée particulière. Il existe ainsi plusieurs modes d’enregistrement. « Plus on est proche du neurone, plus on va pouvoir faire une commande fine, mais plus on va être invasif. Le mode non invasif consiste à faire porter à la personne un casque en tissu équipé de nombreuses électrodes pour mesurer l’électroencéphalogramme . C’est ce qui est utilisé par exemple chez les enfants hyperactifs », indique le Pr Berger. Il complète : « On peut aussi poser une grille d’électrodes sous la boîte crânienne, ce qui permet d’enregistrer un peu mieux. Enfin, le mode le plus invasif consiste à implanter ces électrodes dans le cerveau. Cette méthode est plus dangereuse mais permet de capter directement ce que veut le cerveau. »

Le domaine moteur, le plus concerné par les ICM

Le développement des ICM cherche, le plus souvent, à compenser des déficits moteurs. « 90 % de la littérature concerne des exosquelettes et un bras robotisé. Ces ICM ont été mis en place dans le cadre de pathologies engageant le processus vital. Aux États-Unis, les ICM concernaient ainsi la maladie de Charcot (maladie neurodégénérative qui se traduit notamment par une paralysie évolutive de certains muscles) », explique le Pr Berger qui ajoute que, malheureusement, les protocoles mis en place ne répondent pas toujours aux besoins des patients. « Il ne faut pas trop penser à la technologie et en oublier de demander au patient ce qu’il veut. Actuellement, un patient tétraplégique fait beaucoup moins de choses avec un exosquelette qu’avec un fauteuil roulant. Or, il a besoin de faire des gestes fins de la main, de pouvoir uriner et d’avoir une activité sexuelle. »

Le neurofeedback pour apprivoiser son cerveau

Le deuxième domaine d’application des ICM est le neurofeedback, une méthode permettant de moduler volontairement l’activité électrique du cerveau. « De nombreuses start-up se développent dans ce domaine car la méthode utilisée est non invasive. Les patients apprennent à visualiser l’activité électrique et à la contrôler. Les ICM donnent des résultats encourageants concernant l’hyperactivité des enfants, la dépression ou la maladie d’Alzheimer en augmentant les capacités cognitives », précise le Pr Berger. Il mentionne que des essais rigoureux et contrôlés doivent être réalisés pour confirmer ces bons résultats. Par ailleurs, la part de la population qui ne peut pas réussir à contrôler les ICM pourrait atteindre 30 %, selon l’Inserm. « Les patients doivent apprendre à commander l’activité électrique de leur cerveau. C’est un apprentissage compliqué, long et épuisant. Beaucoup de patients n’arrivent pas à le faire, peut-être car ils ne sont pas suffisamment motivés pour parvenir au résultat escompté », explique le Pr Berger. Ce frein a empêché de nombreux projets de voir le jour.

D’autres applications en développement

Les ICM apportent aussi de réels bénéfices aux personnes souffrant du locked-in syndrome, une maladie neurologique grave caractérisée par une paralysie quasi-complète du corps. « Ces patients peuvent apprendre ainsi à commander un ordinateur. C’est une application rare mais éthiquement indiscutable », note le Pr Berger. Il évoque aussi les ICM, qui permettraient d’améliorer la fonctionnalité visuelle de patients aveugles.

« L’équipe de Grégoire Courtine, professeur au Swiss Federal Institute of Technology, travaille aussi sur des ICM de nouvelle génération, qui apportent un progrès considérable. Placé sur la moelle épinière, un implant commande la motricité et réalise une stimulation intelligente dépendante de l’activité. Il s’agit d’une révolution qui va impacter fortement le domaine des ICM. La récupération fonctionnelle est majeure et permet au patient de remarcher », ajoute le Pr Berger, citant l’étude publiée dans la revue Nature Medicine par l’équipe de Grégoire Courtine, en février dernier.

Les pistes de recherche et des questions d’éthique

Actuellement, les voies de recherche dans le domaine des ICM visent l’amélioration de la tolérance par l’organisme des implants et de leur intégration dans le cerveau. Ces dernières années, une équipe Inserm a mis au point un capteur parfaitement toléré qui enregistre très bien les signaux. D’autres chercheurs travaillent sur l’élaboration d’électrodes souples qui seraient incorporées dans le cerveau grâce à des micro-aiguilles biodégradables ou sur la miniaturisation des électrodes. Ils travaillent aussi sur une amélioration des exosquelettes pour les personnes tétraplégiques.

Ces pistes de recherche sont très ambitieuses mais confrontées à des problèmes éthiques. « C’est une notion capitale. En 2020, Elon Musk a présenté des implants neuronaux testés sur des cochons, avec comme objectif d’augmenter les capacités de l’homme, mais c’est dangereux. Il martèle que ce n’est pas de la médecine et que ces travaux n’ont pas besoin d’être contrôlés et de faire l’objet d’essais cliniques. Elon Musk a une vision faussée du cerveau. On sait que celui-ci n’est pas un ordinateur, qu’il est beaucoup plus compliqué, qu’il se renouvelle et qu’il est sensible à des éléments extérieurs », conclut le Pr Berger. Préoccupée par cette question, l’Agence de la biomédecine a d’ailleurs commencé à étudier des projets et réfléchit à des recommandations sur l’aspect éthique des interfaces cerveau-machine.

© C I E M / Violaine Chatal