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Jérémy Amzalag : « Il peut y avoir une association entre infections dentaires et pathologies cardiovasculaires »

Jérémy Amzalag, dentiste et consultant médias en santé bucco-dentaire

Dans son ouvrage Et si votre dentiste pouvait vous sauver la vie !, coécrit avec son père et confrère Alain Amzalag, le docteur Jérémy Amzalag nous explique qu’une bonne santé bucco-dentaire peut nous préserver de l’apparition ou de l’aggravation de nombreuses pathologies n’ayant, a priori, rien à voir avec nos dents.

Selon vous, les dents seraient, après la bouche, la deuxième porte d’entrée des maladies dans notre corps. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Au centre de la dent se trouve un nerf qui est connecté à la circulation sanguine. En cas d’infection dentaire, les bactéries peuvent passer du nerf de la dent vers le sang et ainsi circuler jusqu’à d’autres organes, comme le cœur. Chez des sujets ayant des fragilités préexistantes, par exemple des personnes qui ont souffert de rhumatismes articulaires aigus dans leur enfance, ces bactéries risquent de provoquer une endocardite infectieuse : elles se fixent sur la membrane interne du muscle cardiaque et ses valves, ce qui peut conduire à des complications graves, comme une embolie ou une insuffisance cardiaque. Des grappes de bactéries peuvent aussi se détacher du cœur, migrer dans la circulation et provoquer des problèmes neurologiques, rénaux ou pulmonaires.  
Enfin, les bactéries responsables des caries ou de la maladie parodontale, cette pathologie de la gencive qui conduit au déchaussement des dents, peuvent également aggraver une athérosclérose chez les patients fragiles. En passant dans le sang, elles se fixent sur les plaques d’athérome (dépôts graisseux) et fragilisent les artères. Cela peut entraîner des accidents graves, comme des AVC ou des infarctus du myocarde.

On peut donc dire qu’il existe un lien entre infections dentaires et maladies cardiovasculaires ?

Il peut y avoir association, oui. Une étude finlandaise, qui a suivi une population pendant trente ans, a constaté que les enfants mal pris en charge, avec des problèmes de caries mal ou non traitées, avaient plus de chances de développer une maladie cardiovasculaire à l’âge adulte. Mais cela ne veut pas dire non plus qu’il y aura forcément un problème cardiaque en cas d’infection dentaire. Il faut juste en avoir conscience et se rendre régulièrement chez le dentiste, c’est-à-dire au minimum une ou deux fois par an pour un contrôle et un détartrage.

Vous expliquez que le rôle du dentiste n’est pas seulement de soigner : il a aussi une mission de prévention fondamentale.

Tout à fait. Si l’on voit régulièrement nos patients, on peut repérer certains signes en bouche, au niveau des dents, des gencives ou de l’intérieur de la joue qui sont révélateurs de maladies. Nous pouvons ainsi réduire le risque d’aggravation des pathologies cardiovasculaires, on l’a vu, mais aussi du cancer de la bouche ou du diabète. La maladie parodontale est par exemple un des signes du diabète et elle peut aussi l’aggraver.
Cette démarche de prévention nous permet d’adresser ensuite nos patients aux spécialistes compétents. Je précise aussi que, de nos jours, la plupart des interventions chirurgicales, cardiaques en particulier, mais aussi orthopédiques ou celles qui concernent les yeux, sont précédées d’un bilan préopératoire bucco-dentaire pour déceler tout foyer infectieux potentiel pouvant compromettre le résultat de l’intervention.

En dehors des maladies, les dents ont aussi un rôle dans l’équilibre de notre corps. Comment cela se traduit-il ?

Les mâchoires constituent une des premières articulations mobiles du corps. Elles permettent l’emboîtement des dents (l’occlusion) et déterminent l’équilibre de toutes les autres articulations. Des dents qui ne s’emboîtent pas parfaitement peuvent induire des tensions qui risquent de retentir sur les vertèbres cervicales, dorsales, lombaires et sur la posture de l’ensemble du squelette. Certains sportifs de haut niveau, comme Cristiano Ronaldo à ses débuts, ont d’ailleurs suivi des traitements orthodontiques qui avaient pour objectif d’améliorer leurs performances.
Les infections dentaires ou parodontales peuvent également causer des atteintes tendineuses ou musculaires. C’est toujours le même principe : via la circulation sanguine, les bactéries vont se fixer sur les tendons, les muscles ou les ligaments. On a ainsi constaté une survenue plus importante de claquages, de pubalgies (faiblesse de la paroi abdominale au niveau de l’aine), d’asthénies (sensation de fatigue) et de tendinites chez les sportifs souffrant d’infections dentaires non traitées. Ce fut notamment le cas de Bernard Hinault, obligé d’abandonner le Tour de France en 1980 à cause de douleurs inflammatoires au genou liées à l’infection d’une dent de sagesse. Les troubles de l’occlusion des dents, qui entraînent des défauts de posture avec déviation du centre de gravité, ont le même type de conséquences : tendinites, claquages, pubalgies, mais aussi contractures et déchirures musculaires.

On l’a bien compris : la prévention est essentielle en matière de santé bucco-dentaire et aussi de santé générale. Mais la peur du dentiste persiste chez de nombreuses personnes. D’où vient cette appréhension ?

Elle est liée à des croyances intergénérationnelles : des parents ou des grands-parents ont pu avoir de mauvaises expériences qui remontent à une époque où les techniques étaient peut-être un peu archaïques au niveau de l’anesthésie et de l’accueil des patients. Il faut dire que la bouche est un territoire à fleur de peau. Le nerf des dents, des gencives, les lèvres et la langue appartiennent aux zones les plus richement innervées du corps. Elles sont donc susceptibles de générer des douleurs intenses. Ainsi, les anciens transmettent leur vécu aux plus jeunes, qui sont contaminés par leurs angoisses. Seulement, il faut savoir que le passé des soins dentaires douloureux est aujourd’hui révolu. Grâce aux progrès de la science et de la technologie, ces appréhensions n’ont plus lieu d’être : les techniques ont beaucoup évolué et la prise en charge de la douleur est totale. L’anesthésie est parfaitement gérée et on peut aussi, chez les plus anxieux, la renforcer par l’utilisation du protoxyde d’azote (un relaxant) ou de l’hypnose. Il faut vraiment en avoir conscience, parce que la peur est encore, effectivement, le principal frein à la consultation et cela peut avoir des conséquences graves sur la santé des gens. Aujourd’hui, on n’a plus mal chez le dentiste, à condition de s’y rendre régulièrement, et surtout, de ne pas attendre le dernier moment !

Propos recueillis par Delphine Delarue / © C i E M

Pour en savoir plus
Et si votre dentiste pouvait vous sauver la vie ! d’Alain et Jérémy Amzalag, éditions Hugo & Cie, septembre 2020, 180 pages.