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Marie-Émilie Terret : « La mauvaise qualité des ovocytes compromet la fécondation et le développement des embryons »

Cette chercheuse consacre tous ses travaux aux ovocytes. Elle a découvert plusieurs mécanismes associés à des anomalies de développement de ces cellules et également un marqueur prometteur de leur qualité. Autant d’avancées qui pourraient permettre notamment une amélioration des résultats dans le domaine de la procréation médicalement assistée (PMA).

Marie-Émilie Terret codirige avec Marie-Hélène Verlhac l’équipe « Mécanique et morphogenèse de l’ovocyte » au Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (unité Inserm 1050/CNRS UMR 7251/Collège de France) à Paris.

L’ovocyte est une cellule très particulière. Pourquoi ?

Elle est déjà très différente des autres au niveau géométrique. C’est une très grosse cellule ronde qui fait environ 120 micromètres de diamètre alors qu’une cellule du sang, par exemple un globule rouge, fait 8 micromètres de diamètre. Cette cellule est aussi parmi les plus vieilles de l’organisme avec celles du cerveau. Une femme naît avec son stock d’ovocytes à la naissance et celui-ci ne sera jamais renouvelé. Une femme de 50 ans a ainsi des ovocytes qui ont 50 ans. C’est rare dans notre organisme car la plupart des cellules se renouvellent en permanence, se divisent. Troisième particularité des ovocytes par rapport aux autres cellules : elles sont dépourvues de centrosomes, qui sont les piliers de l’architecture de la cellule, et elles ont donc besoin d’autres « mini-chefs d’orchestre » pour fonctionner. Autre spécificité, ce sont aussi les cellules à l’origine de la vie : elles vont être fécondées, donner un embryon. Enfin, leur dernière particularité est leur autosuffisance. À la fin de leur développement, elles rompent en effet tout contact avec les cellules environnantes et se retrouvent seules jusqu’à la fécondation.

Pourquoi est-ce important de reconnaître la qualité de ces cellules ?

Comme les ovocytes sont des cellules que la femme a à la naissance, celles-ci vieillissent avec l’âge et sont également très sensibles à l’environnement. Leur mauvaise qualité compromet la fécondation et le développement de l’embryon. En procréation médicalement assistée, on peut sélectionner des spermatozoïdes en regardant leur nombre, leur motilité, la façon dont ils nagent, mais nous n’avons pas de critères pour sélectionner les ovocytes. Donc ils sont tous fécondés et le choix se fait après la fécondation : les meilleurs embryons sont sélectionnés selon des critères morphologiques, on implante le plus qualitatif et on congèle les autres. Depuis la nouvelle loi de bioéthique de 2021, les femmes ont en outre la possibilité de congeler leurs ovocytes entre 29 et 37 ans. Entre les 5 et 20 ovocytes prélevés, nous ne savons pas lequel est le plus prometteur et quel est donc celui qu’il faudrait décongeler en priorité si elle a un désir d’enfant 10 ans plus tard. C’est pourquoi les médecins et embryologistes auraient besoin de critères quantitatifs pour réussir à définir les meilleurs ovocytes à utiliser en priorité.

Quels sont les critères pour définir les meilleurs ovocytes ?

Mon équipe s’intéresse aux critères qui font qu’un ovocyte est un bon ovocyte et comment on peut reconnaître ces critères. Nous avons plein de pistes pour définir un bon ovocyte, entre autres un bon nombre de chromosomes, un cytoplasme avec une quantité et une qualité d’ARN [NDLR : molécule qui transmet l’information génétique du noyau de la cellule vers le cytoplasme, partie autour du noyau], de protéines et d’organites cellulaires [NDLR : structures assurant une fonction déterminée dans le cytoplasme d’une cellule] suffisantes. La qualité ovocytaire est forcément multifactorielle. La question est ensuite de savoir si nous pouvons observer ces critères sans perturber la cellule. En PMA, il faut en effet des techniques qui ne soient pas invasives et qui permettent de toucher de façon minimale la cellule.

Que savons-nous des anomalies de développement des ovocytes ?

Plein de mécanismes ont été découverts qui corrèlent avec la qualité ovocytaire, que ce soit par nous ou par d’autres équipes dans le monde. La nôtre travaille surtout sur les propriétés mécaniques des cellules, c’est-à-dire à quel point une cellule va être dure ou molle par exemple. Ces propriétés sont impliquées dans plein de phénomènes cellulaires, comme la migration ou la division cellulaires. Nous avons montré que si l’ovocyte n’a pas ses propriétés mécaniques bien régulées, il y a des défauts au niveau de l’alignement des chromosomes, avec comme conséquence un gain ou une perte de chromosome, comme c’est le cas dans la trisomie 21 par exemple. Nous avons aussi découvert qu’il existe des gradients de forces purement physiques qui régulent l’expression des ARN, ce qui est important car si un ovocyte n’a pas assez d’ARN et de protéines il va être un peu « sous-nourri » et ne va pas pouvoir nourrir correctement l’embryon.

Qu’est-ce que ces travaux peuvent faire espérer ?

En France actuellement, 3,6 % des bébés naissent avec des techniques de procréation médicalement assistée. C’est un problème sociétal et économique qui est en constante augmentation. La préservation de la fertilité par congélation des ovocytes pour raisons sociétales, autorisée depuis 2021, est également en augmentation. Or, il faut savoir que seulement 20 % des cycles de PMA donnent naissance à un enfant, ce qui est très faible. Ce sont en outre des traitements très lourds pour les femmes et le couple en général. Ce type de recherches sur l’ovocyte pourrait augmenter le pourcentage de réussite de ces techniques de PMA qui stagne depuis des années, et notamment dans le cas des couples avec des femmes plus âgées.

Vous avez découvert un biomarqueur de qualité des ovocytes : quel est-il ?

Ce biomarqueur est basé sur des propriétés mécaniques. Lorsqu’un ovocyte vit les dernières étapes de son développement, c’est-à-dire lorsqu’il se divise deux fois pour devenir un ovocyte prêt à être fécondé, il faut qu’il ramollisse. On s’est rendu compte que certains ovocytes naturellement se sont trop ramollis ou au contraire sont restés durs. On sait que si ces ovocytes trop mous ou trop durs sont fécondés, ils donnent naissance à des embryons qui ne vont pas pouvoir se développer correctement et vont donc arrêter leur développement embryonnaire de façon précoce. Identifier ces ovocytes permettrait de les mettre de côté afin d’utiliser en priorité en PMA des ovocytes qui ont de bonnes propriétés mécaniques.

Cette découverte a donné lieu au développement d’un dispositif breveté. Pouvez-vous nous expliquer ?

Nous mesurions dans notre laboratoire ces propriétés mécaniques de l’ovocyte avec des techniques beaucoup trop invasives pour le faire en clinique ou en hôpital. Nous avons alors pensé à utiliser une autre technique qui s’appelle la microfluidique pour mesurer les propriétés mécaniques des ovocytes (dur, mou). Cela nous permet de donner un score aux ovocytes et de savoir lesquels ont les meilleures propriétés mécaniques pour potentiellement continuer après, en étant fécondés. Cela a été mis en place chez la souris et nous allons faire la transposition de ce dispositif aux ovocytes humains. Ce facteur de mauvaise qualité des ovocytes devra sûrement être combiné à d’autres facteurs, par exemple avec de l’intelligence artificielle qui peut, elle, arriver à voir des défauts fins.

L’ovocyte n’a pas encore révélé tous ses secrets. Que reste-t-il à découvrir ?

Il reste beaucoup à trouver ! Pendant très longtemps, on a pensé que les ovocytes avaient des défauts uniquement au niveau des chromosomes. Or, on se rend compte de plus en plus que la qualité d’une cellule n’est pas liée qu’à ses chromosomes et que son contenu en protéines et en ARN est également important car l’ovocyte est transmis en entier à l’embryon (cytoplasme et ADN contrairement au spermatozoïde qui ne transmet que de l’ADN). Il reste notamment à découvrir la façon dont sont régulées la quantité et la qualité de toutes ces protéines, ces ARN, ces organites cellulaires, etc.

Propos recueillis par Anne-Sophie Glover-Bondeau