© Olivier Roller

Michel Lejoyeux : « En apprenant à mieux conjuguer nos émotions, nous sommes plus résistants face cette crise sanitaire »

Chef de service dans plusieurs hôpitaux parisiens, professeur de psychiatrie et d’addictologie à l’université Paris-Diderot.

Dans son dernier ouvrage, Les 4 temps de la renaissance, le professeur Michel Lejoyeux nous explique comment, en ces temps difficiles de pandémie, préserver notre esprit du stress et de l’anxiété grâce à des exercices simples, validés scientifiquement.

Quels sont les effets de la pandémie sur le mental des Français ?

Il n’y a pas un mental unique des Français. Nous sommes confrontés à des contraintes communes liées à cette pandémie, mais nous avons tous, avec notre histoire, avec nos traumatismes antérieurs et nos capacités de résilience, une manière différente d’y réagir. Donc il ne faudrait pas que l’existence de ce grand stress de la crise sanitaire nous fasse collectiviser l’esprit des Français. Chez les plus fragiles, par exemple, ceux qui avaient déjà eu ou qui vivaient avec des troubles psychologiques ou psychiatriques avant la pandémie, le confinement et les restrictions ont pu entraîner une aggravation des symptômes. Chez d’autres, de véritables stress post-traumatiques, avec des cauchemars à répétition, des sursauts et un état d’alerte permanent, ont été décrits. C’est notamment le cas chez des patients qui ont été hospitalisés en réanimation, chez celles et ceux qui ont perdu un proche brutalement ou encore chez certains soignants confrontés à des situations particulièrement traumatisantes. Mais pour la plupart d’entre nous, la crise sanitaire a surtout entraîné des situations de stress aigu, parfois un stress chronique, et surtout un épuisement et un profond sentiment de lassitude.

Pour faire face à ces sentiments et mobiliser notre résilience, vous parlez des quatre temps de la renaissance. De quoi s’agit-il ?

Avant tout, je voudrais préciser que les stratégies de résilience que je présente dans mon livre ne doivent être utilisées qu’à condition de ne pas être atteint par une maladie psychiatrique. Si c’est le cas, si vous souffrez de pathologies psychiques ou que vous ressentez les symptômes d’un stress post‑traumatique, il faut d’abord être pris en charge médicalement. Au moindre doute, demandez l’avis d’un médecin. Après, si l’on est simplement stressé ou angoissé par la situation, l’idée que je développe est effectivement de mobiliser ses capacités de résilience pour mieux faire face à ce stress. Et pour cela, des techniques validées scientifiquement existent. En nous apprenant à mieux conjuguer nos émotions, elles peuvent même nous conduire à une sorte de renaissance. Pour cela, il s’agit de dépasser ce passé récent traumatisant, de réinvestir ce présent dont on ne profite plus parce qu’on ne sait pas quoi en faire, de garder un peu d’optimisme pour ce futur oblitéré par des prédictions pessimistes et, enfin, de cultiver le gérondif, le temps de l’instant présent, en continuant à savourer de petits plaisirs.

Concrètement, comment utiliser le passé pour mieux résister au stress ?

On s’est aperçu que celles et ceux qui ont une aptitude à la nostalgie, qui regardent des vieilles photos, qui écoutent des vieilles chansons, sont plutôt protégés. En situation de stress, la nostalgie, ça fait du bien. Ce n’est donc pas le moment de repartir de zéro et de vider son appartement de toutes ces vieilles choses qui nous aident à nous remémorer ce que nous avons vécu d’agréable dans notre enfance, dans notre jeunesse, dans ces jours d’avant qui étaient quand même globalement plus appréciables. Ne pas occulter ces souvenirs est une manière de revivre ces moments d’avant la pandémie, et c’est aussi une façon de se rappeler qu’on va les retrouver.

Que faire de ce présent si particulier, dans lequel la crise se poursuit ?

Une étude amusante a montré que les personnes qui ont une capacité d’inattention et de rêverie résistent mieux à la situation que nous vivons actuellement. Pour cultiver cela, je vous propose de consacrer dix minutes, chaque jour, à une expérience appelée le « mind wandering », c’est-à-dire l’« esprit vagabond ». Pendant ces dix minutes, on déconnecte, on coupe son téléphone, on éteint son ordinateur et on laisse son esprit flotter en accueillant toutes les pensées qui viennent à nous. Pour cela, on peut s’aider d’une musique un peu planante ou d’une lecture poétique, par exemple. Il est montré que trois jours de suite avec dix minutes de mind wandering permettent de se sentir déjà mieux.

Vous parlez aussi de tolérance à la nouveauté…

Oui, cultiver cette tolérance à la nouveauté est une façon de travailler sur le futur. Les choses ont beaucoup changé au cours de cette dernière année : vous mettez des masques, vous télétravaillez, vos soirées avec vos amis se font par visio ou en nombre limité… L’idée est ici de se « vacciner » contre les grandes nouveautés que nous impose la pandémie en faisant le plus souvent possible une petite activité nouvelle. Il ne faudrait pas que, face au stress de cette crise, nous nous mettions dans une posture de répétition permanente de nos comportements. Il a été montré que celles et ceux qui ont un niveau de tolérance élevé à la nouveauté résistent mieux au stress. Donc, chaque jour, on prend soin d’expérimenter une nouveauté : manger un plat que l’on a jamais goûté auparavant, écouter une nouvelle musique, sortir avec une couleur de vêtement inhabituelle, appeler quelqu’un avec qui on n’a pas parlé depuis très longtemps… Tout cela fait un bien fou et aide à mieux appréhender les incertitudes du futur.

Selon vous, l’optimisme est également un facteur de résilience important.

Oui, tout à fait. Cela fait aussi partie du travail sur le futur. Pour cultiver cet optimisme, on peut utiliser le programme qui a été développé par l’université de Boston : deux ou trois fois par semaine, on commence par noter une de nos qualités et la manière dont on s’en est servi. Cela peut être une qualité physique, sportive, intellectuelle ou encore morale. En ces temps de crise, on a tendance à ne voir que nos défauts, et ce petit exercice fait lui aussi beaucoup de bien. Ensuite, deuxième exercice de ce programme, on planifie un moment dans la semaine pour faire quelque chose d’agréable : boire un bon thé, manger quelque chose que l’on apprécie, passer du temps avec une personne que l’on aime… Et on le vit à fond, en pleine conscience, puis on en garde une trace dans son esprit. Enfin, le troisième élément qui développe l’optimisme, c’est la gratitude. Pour la cultiver, pensez à une personne à qui vous avez envie de dire merci : un proche, un personnage historique ou même, pourquoi pas, le destin. Puis écrivez une lettre de gratitude au destinataire choisi. En faisant ça, vous allez augmenter vos émotions positives. Ces trois expériences sont de véritables potentialisateurs d’optimisme.

Quelles sont les autres qualités utiles à développer pour mieux résister au stress ?

Selon une étude du King’s College de Londres, deux éléments essentiels font que l’on y résiste mieux. Je les associe au troisième temps que j’évoquais, c’est-à-dire le gérondif, axé sur l’instant présent. Tout d’abord, il y a l’altruisme. Vous savez, nous, soignants, on se soigne en aidant les autres, en les soignant. Tout ce que vous faites pour un ami, un voisin, une personne âgée, une personne vulnérable, vous fait du bien immédiatement. C’est la même chose pour les engagements humanitaires, sociétaux ou politiques. Deuxième élément indispensable qui fait du bien : ne pas s’ennuyer. On s’aperçoit que, plus on s’ennuie, plus on s’expose à vivre le stress avec une grande intensité. Il faut s’occuper et surtout s’amuser, vous avez le droit à un peu de légèreté même en temps de crise. Revendiquons ce droit à la légèreté en temps de pandémie, sans aucune culpabilité. C’est essentiel pour passer le cap.

© C I E M / Propos recueillis par Delphine Delarue

Les 4 temps de la renaissance. Le stress post-traumatique n’est pas une fatalité, Pr Michel Lejoyeux. Éd. J.-C. Lattès (198 p. 19,90 €).