Et si des neurones « fantômes » étaient responsables de l’obésité ?
Une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale révèle que certains neurones sont capables de devenir indétectables et de changer d’identité afin de s’adapter à des facteurs nutritionnels. Explications.
Au cœur du cerveau, l’hypothalamus contient plusieurs types de neurones qui coordonnent nos fonctions physiologiques. Un rouage essentiel pour réguler nos besoins : faim, soif, sommeil, thermorégulation, stress, etc. Certains neurones pourraient-ils dévier de leurs fonctions préprogrammées, et assignées au cours de leur vie embryonnaire, selon les conditions métaboliques ? C’est la question à laquelle a voulu répondre l’équipe dirigée par Carmelo Quarta, chercheur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) du neurocentre Mangendie de Bordeaux, en se focalisant sur le sujet des déséquilibres énergétiques. Les chercheurs se sont intéressés aux neurones à pro-opiomélanocortine (POMC), un peptide régulateur de l’appétit. Pour mener à bien leur étude, Carmelo Quarta et son équipe ont réalisé leurs tests sur des souris, en les soumettant à des régimes alimentaires plus ou moins fournis. Ils ont découvert que les souris suivant un régime très riche, qualifié d’« obésogène », voyaient certaines de ces cellules nerveuses devenir invisibles.
Traquer les neurones « fantômes »
Un constat déroutant et inédit pour les chercheurs, puisque seules les souris obèses présentaient cette particularité. « Durant la vie embryonnaire, des facteurs génétiques ou environnementaux peuvent orienter le devenir des neurones cérébraux, explique Carmelo Quarta. À l’âge adulte, en revanche, il est admis que cette évolution n’est pas possible. Les neurones à POMC peuvent adapter le degré d’expression de leurs fonctions, mais ils conserveraient la machinerie moléculaire spécifique qui leur a été initialement attribuée. Pourtant, nos travaux menés chez des souris adultes nourries avec un régime riche en graisses montrent qu’une partie de leurs neurones POMC semble avoir disparu. Rien n’indique qu’ils soient morts, mais on ne les observe plus. »
Pour parvenir à suivre la trace de ces cellules disparues, les chercheurs y ont apposé des marqueurs fluorescents, afin de déterminer leur nombre et leur véritable fonction lorsqu’elles se fixent sur les neurones POMC. Le résultat est sans appel : le nombre de cellules fantômes est bien plus important chez les souris obèses que chez les souris normalement nourries.
Carmelo Quarta et son équipe ne comptent pas en rester là. La prochaine étude portera sur la nature même de ces neurones fantômes. « Si cette plasticité n’est pas réversible et qu’elle est une étape préalable à la mortalité neuronale, ces changements d’identité pourraient expliquer pourquoi les patients en situation d’obésité ne guérissent pas définitivement, même après une perte de poids drastique et durable sous médicaments anti-obésité », avance Carmelo Quarta. Mais d’autres études sont également nécessaires pour évaluer si le phénomène étudié chez la souris peut être transposé aux hommes.
© CIEM / Mathieu Yerle