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Olivier Milleron : « Le maintien du service public de santé doit redevenir un projet de société »

Olivier Milleron est cardiologue hospitalier à l’Assistance publique hôpitaux de Paris (APHP) et fervent défenseur du service public. Il est investi au sein de l’association Droit au logement ou encore du collectif Inter-hôpitaux.

Après Pourquoi fumer c’est de droite, son précédent ouvrage, Olivier Milleron s’est intéressé aux nombreuses idées reçues autour de notre système de santé. Avec son coauteur André Grimaldi, ils prennent le temps de toutes les passer en revue et d’expliquer la réalité du terrain pour donner des clés de compréhension à leurs lecteurs.

Qu’est-ce qui vous a amené à écrire un livre sur le système de santé français ?

Le système de santé est perçu comme très complexe par les non-initiés. Avec André Grimaldi, nous avons donc eu l’idée d’essayer d’en expliquer ses tenants et aboutissants. L’objectif de ce livre (Guide des intox sur notre système de santé, NDLR) est de rendre notre système compréhensible pour que les lecteurs puissent se faire leur propre avis. Nous avons essayé de déconstruire les idées fausses auxquelles nous avons été confrontés sur le terrain, en discutant avec des patients ou des proches. Nous sommes persuadés que, pour pouvoir défendre le système de santé, il faut déjà comprendre.

Quelle est l’idée fausse qui vous a le plus marqué ?

La plus importante intox est celle qui dit que la privatisation du système serait efficiente et coûterait moins cher. À mon avis, c’est l’idée la plus dangereuse. D’autant qu’elle est complètement fausse quand on regarde ce qui se fait dans d’autres pays. Ceux qui ont fait le choix d’un système privé font aujourd’hui face à un accès aux soins et à une qualité des soins qui se dégradent. C’est le cas notamment des États-Unis qui est le système privé par excellence. Ils dépensent beaucoup plus que nous en termes de pourcentage du produit intérieur brut pour la santé. Mais c’est aussi un système inégalitaire et complètement inefficace. D’ailleurs, l’espérance de vie y est en baisse, ce qui est inédit dans un pays dit riche en période de paix.

Est-ce là la « santé business » que vous dénoncez ?

La « santé business » est à l’origine de toutes les attaques que notre système de santé a connu ces dernières années, comme le fait de sortir de plus en plus de soins du remboursement par la Sécurité sociale. Or, nous savons que diminuer sa part et augmenter celle du privé augmente globalement le coût pour la société. Le modèle du marché et de la concurrence ne fonctionne pas dans le cadre de la santé. Nous avons collectivement intérêt à avoir une Sécurité sociale forte pour dépenser moins et être mieux pris en charge.

Le budget de la Sécurité sociale est aujourd’hui sanctuarisé. Cela ne se passe pas comme dans les autres administrations où c’est le gouvernement qui gère. Après la Seconde Guerre mondiale, il a été décidé que son budget serait financé par les cotisations sociales et les impôts et que sa gestion serait déterminée de manière collective. Le budget global de la Sécurité sociale (avec les retraites et l’Assurance maladie notamment) est supérieur à celui de l’État. C’est énorme : plus de 600 milliards d’euros par an. Et cet argent, qui n’est ni placé en Bourse, ni dans les banques et qui donc ne rapporte pas, intéresse le privé. Mais attention. Il ne faut pas oublier que, dans les pays où le système des retraites est géré par les fonds de pension par exemple, quand la bourse s’effondre, les personnes perdent leur retraite. Pour nous, cela va donc à l’encontre de l’intérêt général.

Quelle est, pour vous, la principale force de notre système de santé ?

Nous avons un esprit de service public qui est très ancré dans la population. Nous avons eu un hôpital public qui a été assez fort, assez puissant, pour donner satisfaction à la population. Il a été envié partout dans le monde. Nous avions du personnel bien formé – ce qui est encore le cas aujourd’hui –, avec un accès aux soins relativement égalitaire et un reste à charge faible pour les patients. En France, nous savons qu’un système socialisé permet de soigner la population de façon satisfaisante. Un système fondé sur de l’argent public, où tout le monde cotise en fonction de ses moyens et reçoit selon ses besoins, avec des médecins salariés, répond aux attentes. C’est quand nous avons remis tout cela en cause que nous avons commencé à casser le système et à créer une catastrophe. Malheureusement, l’hôpital public a connu de nombreuses réformes, non pas parce qu’il ne fonctionnait pas bien, mais parce qu’on considérait qu’il coûtait trop cher.

Quelles sont ses faiblesses ?

Une des faiblesses du système est qu’il n’est pas géré par un collectif. Nous sommes en train d’assister à la mise sous tutelle de l’hôpital public. Maintenant, c’est le directeur d’hôpital qui est responsable. Son objectif est de réduire au maximum le déficit et non, d’améliorer la qualité des soins. En parallèle, nous avons le puissant lobby des médecins libéraux qui défendent leurs revenus et leurs intérêts financiers au lieu de l’intérêt général. Nous avons donc un véritable combat à mener contre la financiarisation du système de santé.

Quel a été l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur notre système de santé ?

Cette période a permis de mettre en avant les collectifs de soins. Elle a montré que les professionnels de santé étaient motivés avant tout par le soin. Ils ne sont pas venus travailler pour des primes ou des gratifications, mais bien dans l’esprit du service public. Nous avons aussi vu que l’hôpital était capable de se réorganiser très vite. Et cela a été possible grâce aux collectifs de travail et à l’absence de concurrence entre les personnes. La capacité d’adaptation et l’intelligence collective y ont été pour beaucoup. Malgré tout, les promesses politiques qui n’ont pas été tenues ont fait beaucoup de mal.
Les discours mettaient alors en avant la sortie du marché et la revalorisation de la santé et de l’hôpital public. Mais toutes ces promesses ont été oubliées. Il y a donc eu un sentiment de trahison qui a fait que les personnels sont partis de l’hôpital.

Que faudrait-il faire pour attirer à nouveau les professionnels ?

Le maintien du service public de santé, en particulier les hôpitaux publics, doit redevenir un projet de société. Pour cela, il faut mettre des moyens, sans forcément mettre beaucoup plus d’argent mais, au moins, changer la répartition des financements. La tarification à l’activité (T2A) a eu des effets pervers très importants. Aujourd’hui, nous sommes dans une logique de garagiste : une panne/un symptôme, un diagnostic, une réparation/un acte, une facture. Or, cela ne fonctionne pas pour les malades chroniques qui ont besoin d’une prise en charge globale. Pourquoi est-ce que l’on se retrouve avec des personnes âgées polypathologiques qui attendent des heures aux urgences ? Les services ne veulent pas les prendre en charge parce que ça ne rentre pas dans le cadre de la T2A. Ce mode de financement n’est pas adapté aux besoins de la population. Il faut absolument remettre la qualité des soins au centre du dispositif.

Quelle est pour vous la mesure prioritaire pour améliorer notre système de santé ?

Il y en aurait plusieurs mais je pense que mettre en place un ratio nombre de malades/personnel dans l’hôpital public serait très symbolique. On pourrait imaginer qu’un ratio de sept ou huit patients par infirmière, à ajuster en fonction des besoins des services, soit inscrit dans la loi, un peu comme dans les crèches. Cette masse salariale serait sanctuarisée dans le budget de l’hôpital et elle ne serait plus la variable d’ajustement. Cela permettrait aussi d’avoir de bonnes conditions de soins. Avec un programme progressif de mise en place sur quatre ou cinq ans, nous pourrions totalement changer de paradigme. Quand on parle de santé, mais c’est aussi le cas avec d’autres sujets, il faut toujours se demander : quel est notre intérêt collectif, que voulons-nous comme système ?
Répondre collectivement à ces questions est un enjeu démocratique.

Propos recueillis par Léa Vandeputte / © CIEM

Guide des intox sur notre système de santé, d’Olivier Milleron et André Grimaldi, Textuel, 192 pages, 18,90 euros.