© Céline Nieszawer/Leextra

Anna Roy : « La sage-femme est l’interlocuteur privilégié des femmes tout au long de leur vie »

Anna Roy est sage-femme, métier qu’elle exerce en libéral après avoir travaillé plusieurs années à la maternité des Bluets à Paris. Elle est aussi chroniqueuse à la télévision, auteure de nombreux ouvrages et créatrice de podcasts.

Mettre au monde un enfant est un grand bouleversement. Cet heureux événement n’a pas seulement un impact physique et psychique sur les femmes mais il chamboule aussi le couple, la sexualité, la vie sociale et professionnelle. Dans son dernier ouvrage Le post-partum dure 3 ans (éditions Larousse), Anna Roy estime qu’il faut mieux informer les femmes ; et les sages-femmes sont tout indiquées pour les aider à appréhender cette période.

Vous dites que le post-partum dure trois ans, qu’est-ce que cela veut dire exactement ?

Trois ans, c’est généralement le temps qu’il faut pour « atterrir » après l’arrivée d’un enfant, c’est-à-dire découvrir sa nouvelle vie de parent. Une naissance est un évènement qui révolutionne notre vie. C’est une nouvelle ère. Le terme post-partum désigne l’après accouchement. Pour moi il dure trois ans, car c’est le temps qu’il faut pour que le bébé devienne un enfant. Nous n’avons plus besoin de changer ses couches ou de le porter. Il va à l’école, il parle, etc. Ces trois ans permettent aussi aux femmes de récupérer sur le plan corporel et psychique. Au niveau professionnel et dans le couple, la situation s’est le plus souvent stabilisée. Je tiens à préciser que le post-partum dure trois ans à partir de la naissance du dernier enfant. Si une femme a un premier bébé et si elle est de nouveau enceinte deux ans plus tard, il faut relancer les dés : dans ce cas il dure deux ans plus trois, soit cinq années.

Est-ce que cette durée de trois ans ne peut pas paraître inquiétante pour certaines ?

Non, je pense que c’est beaucoup plus rassurant finalement. Aujourd’hui, la plupart des femmes en post-partum se sentent fatiguées. Elles se disent qu’elles ne sont pas normales et elles souffrent en silence. Et pourtant, c’est très courant. Avoir un bébé dans le monde d’aujourd’hui est épuisant, éreintant. Les femmes se retrouvent prises entre leur enfant, leur vie de famille, leur vie sociale et leur vie professionnelle ; sans compter les questions autour de la sphère intime et sexuelle dans le couple. C’est énorme !

Certaines femmes arrivent à se remettre rapidement. Ont-elles un secret ?

Chaque femme vit son post-partum différemment. Se retrouver peut prendre plus ou moins de temps, il ne faut pas généraliser. Certaines ont de la chance et se sentent rapidement en forme et c’est tant mieux. Ces femmes sont le plus souvent aidées par des proches très présents, par une nounou, par une femme de ménage… Mais, dans ma vie professionnelle, je n’en ai pas rencontré beaucoup, malheureusement.

Pourquoi cette période peut-elle être, à l’inverse, plus difficile à vivre ?

Le post-partum peut être comparé à l’adolescence quand on passe d’enfant à adulte, que l’on vit des bouleversements hormonaux, physiques, psychologiques, etc. Mais là où le post-partum est beaucoup plus fort, c’est qu’il modifie tout. Le quotidien d’un adolescent n’évolue pas tellement : il va toujours au même lycée, il a toujours les mêmes parents. Alors que pour la femme qui vient d’avoir un enfant, la vie n’est plus la même. Elle doit faire de la place à un nouvel habitant dans son foyer qui, en plus, est sous sa responsabilité. C’est un changement majeur, radical, mais qui est aussi très excitant et génial à vivre. En plus, il y a une injonction au bonheur. Nous n’avons pas le droit de dire : « J’adore, avoir un enfant est merveilleux, mais qu’est-ce que c’est difficile ! ». Nous n’avons pas la possibilité d’être ambivalents sur ce sujet.

S’intéresse-t-on suffisamment au post-partum ?

Non, pas assez. Nous en avons entendu parler dans le microcosme des réseaux sociaux, notamment avec le #MonPostPartum en 2020, mais en dehors de cela très peu. Les jeunes parents ne sont pas assez accompagnés dans ce moment de leur vie. Au niveau du monde du travail, le sujet est encore tabou. Dans la plupart des entreprises, quand la femme rentre de congé maternité, tout le monde agit comme si de rien n’était alors qu’il serait intéressant de savoir si elle dort bien la nuit, si elle est en forme, etc. Il est nécessaire de mener une réflexion globale sur le retour en entreprise après l’accouchement.

Comment les femmes peuvent-elles se préparer à cette période ?

C’est exactement comme quand on s’apprête à connaître un grand changement de vie, il faut se documenter. Les femmes et les hommes doivent effectuer ce travail d’information, de lecture, d’écoute… L’idée est de s’y préparer pour soit vivre finalement la situation de manière beaucoup plus apaisée, soit se dire qu’il est normal de se sentir en difficulté. Il ne faut d’ailleurs pas hésiter à aborder ce sujet avec les professionnels de santé.

Quel rôle peut jouer la sage-femme dans l’accompagnement des femmes ?

La sage-femme est l’interlocuteur privilégié des femmes tout au long de leur vie. Elle n’est pas là uniquement pour la grossesse mais aussi pour réaliser le suivi gynécologique, notamment. Elle est présente avant, pendant et après l’accouchement pour s’occuper à la fois du bébé et de la maman, de l’aspect médical comme psychologique. L’objectif pour les femmes est de trouver une sage-femme avec laquelle elles s’entendent bien car elle est un véritable soutien dans le post-partum.
Il y a encore un travail de pédagogie à mener pour que les femmes sachent qu’elles peuvent bénéficier d’un entretien postnatal précoce et de visites à domicile. Pour éviter l’isolement, il est important qu’elles profitent de ces rendez-vous auxquels elles ont droit.

Malgré le rôle central des sages-femmes, le métier est en crise. Selon un sondage mené par le Conseil national de l’ordre des sages-femmes en mai 2022, 55 % des sages-femmes envisagent de quitter la profession. À quoi est-ce dû selon vous ?

Le manque d’effectifs dans les maternités est notamment en cause. Le nombre de sages-femmes
est très insuffisant et ne permet pas de proposer une prise en charge optimale. C’est la première des choses à revoir. Ensuite, il faut peut-être aussi aborder la question de l’accouchement à domicile. C’est une demande forte des femmes mais, pour l’heure, très peu de sages-femmes le pratiquent car elles ne peuvent pas être assurées. Il faut donc réaliser une expérimentation, comme cela a été fait avec les maisons de naissance, pour étudier les conditions de faisabilité et créer un cadre. C’est un sujet de santé publique.

Votre métier est-il suffisamment valorisé ?

L’élargissement des compétences des sages-femmes, avec la vaccination des femmes et des enfants et l’expérimentation des IVG chirurgicales dans certains établissements de santé, participe à sa valorisation. La réforme des études [la durée de la formation initiale passera de cinq à six ans à partir de la rentrée 2024, NDLR] devrait également y contribuer. Celle-ci va aussi nous permettre de mener nos propres recherches scientifiques. Notre métier est quand même de mieux en mieux connu et reconnu au fil des années. Un des grands objectifs que je m’étais fixé dans ma vie était de faire connaître cette profession – je ne suis pas la seule bien sûr – et j’espère, à mon échelle, y être arrivée.

Propos recueillis par Léa Vandeputte / © C i E M

Pour en savoir plus :
Le post-partum dure 3 ans, d’Anna Roy, éditions Larousse, 192 p.