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Anosmie : Quand perdre l’odorat fait perdre le goût de vivre

On en a beaucoup parlé depuis quelques mois : l’anosmie – le nom scientifique de la perte d’odorat – est en effet l’un des premiers symptômes du Covid-19. Mais ce signe clinique peut avoir bien d’autres causes. Loin d’être anodine, cette maladie pourtant mal connue bouleverse le quotidien de ceux qui ne perçoivent plus les odeurs.

Imaginez : le savon sous la douche, le café et le pain grillé du matin, l’herbe fraîchement coupée du jardin, les gaz d’échappement des voitures… Vous ne sentez plus rien. Quasiment du jour au lendemain, toutes les odeurs ont disparu et vous vous retrouvez comme enfermé dans une bulle. Votre vie est devenue vide et fade. « Cela m’a valu des années de dépression car une vie se construit autour des odeurs, qui sont aussi des souvenirs, témoignait Bernard Perroud, président de l’Association française pour l’anosmie et l’agueusie (la perte du goût) lors d’un entretien à LCI. Dès qu’il s’agit de marcher dans les bois ou de passer à côté d’une boulangerie, le nez est à la base de notre appétit et de notre enthousiasme. C’est donc vraiment difficile de vivre sans. C’est comme si la vie était devenue en noir et blanc : il y a quelques nuances mais il manque l’essentiel. » Cette perte de sens, au propre comme au figuré, c’est ce que décrivent tous les anosmiques. 

Une pathologie méconnue

L’anosmie était jusque-là une pathologie méconnue. Depuis la crise du Covid-19, tout le monde en parle.
Il faut dire qu’avec les maux de tête, elle est l’un des premiers signes cliniques, avant la fièvre, la toux et les difficultés respiratoires, qui font envisager une infection au nouveau coronavirus. Pourtant, ce trouble de l’olfaction était présent bien avant. Il en existe deux formes : l’anosmie acquise, qui survient au cours de la vie, et l’anosmie congénitale, heureusement très rare (environ une naissance sur 40 000), que connaissent des enfants qui naissent sans système olfactif. Ce handicap toucherait près de 3 millions de Français, mais aucune étude ne permet, à ce jour, d’estimer exactement le nombre de personnes atteintes. Les causes, quant à elles, sont plus ou moins connues. Un virus, un choc à la tête, une tumeur ou tout simplement le vieillissement peuvent être à l’origine d’une perte d’odorat permanente ou temporaire. Tous les âges sont concernés et il n’y a pas non plus de différences en fonction du genre. Ce mal peut donc affecter n’importe qui, n’importe quand.

Des conséquences sur la santé physique et mentale

Si la personne qui en est atteinte est privée des petits plaisirs de la vie que procurent des odeurs agréables, elle peut aussi se mettre en danger. « J’ai 33 ans et ça fait 25 ans que je suis anosmique, se désespère Nicolas dans j’ai rien senti, le documentaire poignant de Mélanie Van Kempen pour Arte Info. Les gens, je pense, ne connaissent pas l’anosmie en tant que telle, mais ne connaissent pas non plus le rôle qu’ont les odeurs dans la vie. Ne plus avoir d’odorat, c’est déjà être en danger physique, puisqu’il y a le brûlé, il y a l’odeur du gaz, il y a les aliments périmés. […] Il faut que les gens comprennent à quel point j’ai moins de plaisir à vivre ma vie qu’eux. » Danger physique donc, puisque l’anosmique, en perdant le goût (agueusique), peut par conséquent s’alimenter de façon déséquilibrée mais surtout s’intoxiquer en mangeant des produits avariés. Il n’est pas non plus en mesure, par exemple, d’identifier l’odeur d’une fuite de gaz ou celle de la fumée d’un début d’incendie. Les anosmiques sont également souvent sujets à la dépression. À l’image de Caroline qui expliquait en juin 2017, dans les colonnes du Figaro : « On ne se sent pas soi-même, donc on n’est pas à l’aise. L’odeur de mon compagnon, de mon fils me manque tellement que parfois j’en pleurerais. C’est comme si on m’avait enlevé quelque chose, que je n’étais pas complète. Toute la vie sociale est pleine d’odeurs qu’on ne sent plus. C’est un néant d’ennui. » Entre 60 et 80 % des personnes ayant subi une perte de l’odorat connaîtraient un épisode dépressif parfois grave.

Pas de traitement miracle

« Les anosmiques ont de grosses difficultés à se nourrir, parce qu’ils perdent 80 % des composantes du goût, explique Bernard Perroud, président de l’Afaa Sos anosmie. Il ne leur reste que quatre saveurs essentielles : le sucré, le salé, l’amer et l’acide. Au bout de quelques années, ils peuvent réussir à rééduquer leur goût à travers des exercices très personnels, car il n’existe aucune méthode. Par exemple, manger la viande et les légumes à part, pour essayer de capter chacune des saveurs. » Cette pathologie n’est pas toujours détectée immédiatement, elle peut s’installer progressivement et devenir irréversible. La perte de l’odorat étant, de plus, un marqueur de maladie neurodégénérative comme Alzheimer, il est important de la repérer. C’est la raison pour laquelle il faut consulter le plus tôt possible un oto-rhino-laryngologiste (ORL) afin de poser un diagnostic et de mettre en place un traitement – si tant est qu’il en existe un, tout dépend de l’origine du trouble. Ce dernier pourra consister en l’administration de corticoïdes si l’anosmie résulte d’une maladie inflammatoire, ou d’exercices de « rééducation olfactive » : pendant deux ou trois mois, le patient s’entraînera à reconnaître certaines odeurs caractéristiques. 

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Comment fonctionne l’organe olfactif ?

Tout au fond du nez se trouvent des récepteurs neuronaux (400 environ) dans lesquels viennent s’imbriquer des molécules volatiles qui seront reconnues comme autant de parfums. En traversant l’os qui forme le toit des fosses nasales par d’étroits orifices, ces récepteurs transmettent, via le bulbe olfactif, relié à des zones de l’encéphale (cerveau, cervelet et tronc cérébral), des signaux permettant l’interprétation de l’information sensorielle. Situé entre les deux yeux, le bulbe olfactif va coder, sous forme d’impulsions électriques, une carte d’identité pour chaque odeur. Cette information est ensuite traitée par différentes zones du cerveau impliquées également dans les processus de la mémoire et de l’émotion.