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Une histoire du savon : saponification, hygiène corporelle et barrière antivirale

Sa recette de base n’a pas changé depuis plus de 4 500 ans. Aujourd’hui, le savon reste un produit essentiel à l’hygiène et à l’asepsie cutanée. D’où vient-il ? Quelles sont ses propriétés lavantes et antibactériologiques ? Depuis quand est-il devenu incontournable ? Retour sur ce produit phare.

Les premières indications écrites de ce qui ressemble à notre savon actuel remontent au IIIe millénaire avant J.-C. Une tablette d’argile datant de – 2 500 ans révèle que les Sumériens maîtrisaient déjà le processus de saponification (réaction chimique qui permet la fabrication du savon). Elle fait état d’une formule « contenant de l’eau, une base alcaline et de l’huile », rappelle Julia Rioual dans une thèse soutenue à la faculté de pharmacie de Nantes en 2011. Ces sortes de pâtes à savon n’étaient alors pas utilisées pour l’hygiène corporelle mais pour nettoyer la laine. On en retrouve également des traces dans l’Égypte antique : le papyrus Ebers, un des plus anciens documents médicaux originaux connus, rédigé entre 1 600 et 1 500 ans avant J.-C., précise que les Égyptiens utilisaient une forme de savon composé de graisses animales et d’huiles végétales mélangées à un minerai proche de la soude.

L’invention du savon attribuée aux Gaulois par Pline l’Ancien

Plus tard, vers 77 après J.-C., Pline l’Ancien attribue l’invention du savon (sapo) aux Gaulois. Composé principalement de suif de chèvre et de potasse de cendres de hêtre, ils s’en servaient surtout pour colorer leurs cheveux en roux. Ce n’est finalement qu’au IIe siècle après J.-C. que le médecin grec Galien recommande l’usage du savon pour l’hygiène. 

Au Moyen Âge, les Maures produisaient des savons à base d’huile d’olive et en exportaient notamment jusqu’à Marseille (dès le IXe siècle). Le fameux savon d’Alep, quant à lui, produit millénaire d’origine syrienne, à base d’huile d’olive et de laurier, aurait été introduit en Occident par les croisés au XIe siècle. Les Espagnols (à partir du XIIe siècle) et les Marseillais (à partir du XIIIe siècle) s’en seraient inspirés pour leur propre production. À ce moment-là, les savons sont fabriqués avec de l’huile d’olive et une solution caustique obtenue à partir de plantes comme la salicorne ou la fougère. 

Un produit réservé aux plus riches 

Toujours au Moyen Âge, le savon reste réservé aux classes les plus aisées. Il sert à l’hygiène mais surtout au nettoyage des vêtements. Son utilisation corporelle disparaît au début du XVIe siècle au profit des parfums, censés être plus efficaces pour prévenir les maladies comme la peste. Le savon destiné à la toilette, mais aussi à des fins thérapeutiques (affections dermatologiques), réapparaît ensuite au siècle des Lumières (XVIIIe), sous l’impulsion des théories hygiénistes. Ce n’est qu’en 1823 que le chimiste français Michel-Eugène Chevreul décrit précisément, pour la première fois, la réaction chimique à l’origine de la saponification.

L’industrie savonnière poursuit son essor tout au long du XIXe siècle, permettant l’amélioration de la qualité et du rendement du produit, tandis que la création de grands groupes industriels finit de rendre accessible son prix à tous. À la fin du XXe siècle, favorisés par la pénurie de graisses animales et végétales pendant la Seconde Guerre mondiale, les tensioactifs de synthèse dérivés du pétrole complètent l’offre. Aujourd’hui, le savon reste le produit de base de l’hygiène.

Comment le savon nettoie et nous protège des virus ?

C’est par ses propriétés chimiques que le savon nettoie notre peau. Ses molécules ont la particularité d’être tout en longueur. L’une des extrémités de cette molécule (la tête) « aime » l’eau mais pas la graisse (on dit qu’elle est hydrophile et lipophobe). Pour l’autre extrémité (la queue), c’est l’inverse : elle accroche la graisse mais « n’aime pas » l’eau (la queue de la molécule de savon est dite lipophile et hydrophobe). Lorsque l’on mélange du savon à de l’eau, les molécules de savon se regroupent pour former des petites sphères. Les queues de molécules (qui n’aiment pas l’eau) se regroupent au centre, et, vers l’extérieur, on retrouve les têtes (qui sont attirées par l’eau). Quand on se lave avec cette eau savonneuse, les queues de molécules de savon accrochent les graisses qui se retrouvent emprisonnées dans les petites sphères. Avec le rinçage, les têtes de molécules s’attachent à l’eau qui est évacuée. Tout part : l’eau, le savon et les graisses qu’il emprisonne.

C’est le même principe avec les virus et notamment avec le Covid-19. Celui-ci se compose d’un génome (ARN) enveloppé d’une membrane protectrice constituée de lipides (graisses). A son contact, les queues de molécules de savon s’accrochent à l’enveloppe lipidique du virus. Lors du rinçage, elles y restent attachées, tandis que les têtes de molécules sont entraînées par l’écoulement de l’eau. Cela provoque la rupture de la membrane et désactive le virus.

© C i E M / Delphine Delarue

L’âme du savon d’Alep, de F. Cloarec. Ed. Noir sur Blanc (2013, 208 pages, 21 euros).

Le savon, de la Préhistoire au XXIe siècle, de R. Leblanc. Ed. Pierann (2001, 396 pages, 22,11 euros).

Que faut-il savoir sur les savons ? Zoom sur le savon d’Alep, de J. Rioual. Thèse de pharmacie, 2011, Nantes. 

Et le gel hydroalcoolique ?

S’ils ne lavent pas, les gels hydroalcooliques sont, en revanche, très utiles contre les virus et les bactéries. « L’efficacité des gels sur le Covid-19 n’a pas été testée, mais il n’y a pas de raison d’en douter car elle a été confirmée sur d’autres coronavirus », explique Olivier Schwartz, responsable de l’unité « Virus et immunité » à l’institut Pasteur, cité par Que Choisir début mars. Comme le savon, ils s’attaquent à l’enveloppe lipidique du virus et le détruisent. Pour que le gel soit efficace, il faut en verser une bonne dose au creux des mains et frotter au moins pendant une minute. On l’utilise de préférence en plan B lorsque qu’il n’y a pas de lavabo à disposition. Se laver les mains au savon est tout aussi efficace et coûte bien moins cher. 

Antiquité 

 2 500 avant J.-C. : première indication écrite de l’existence du savon. Une tablette d’argile sumérienne décrit une formule contenant de l’eau, une base alcaline et de l’huile. 

 Entre – 1 600 et -1 500 avant J.-C. :
le papyrus Ebers précise que les Egyptiens utilisaient une forme de savon composée
de graisses animales, d’huiles végétales et d’un minerai proche de la soude.

 Vers 77 après J.-C. : Pline l’Ancien attribue l’invention du savon (sapo) aux Gaulois. Ils le fabriquent alors principalement avec du suif de chèvre et des cendres de hêtre. 

 ııe siècle après J.-C. : le médecin grec Galien recommande l’usage du savon pour l’hygiène. 

Moyen-âge

 xıe siècle : les croisés rapportent le savon d’Alep, premier savon à base d’huile d’olive et de laurier, en Occident.  

 xıııe siècle : Marseille commence à fabriquer son propre savon à base d’huile d’olive et ouvre ses premières manufactures. 

Époque moderne

 xvıe siècle : l’utilisation du savon pour se laver disparaît au profit des parfums, considérés à l’époque comme efficaces pour prévenir les maladies contagieuses. 

 xvıııe siècle : le savon destiné à la toilette, mais aussi à des fins thérapeutiques, réapparaît sous l’impulsion des théories hygiénistes.  

Époque contemporaine

 xıxe siècle : l’industrie savonnière poursuit son essor. Le savon se démocratise. 

 1823 : le chimiste Eugène Chevreul décrit pour la première fois la réaction chimique à l’origine de la saponification.  

 Fin du xxe siècle : les tensioactifs de synthèse dérivés du pétrole complètent l’offre.