Mosaic : une expédition inédite pour observer le climat
Le brise-glace allemand Polarstern est parti en septembre 2019 du port norvégien de Tromsø pour une mission qui doit durer plus d’un an. Pris dans la banquise, il se laisse dériver au cœur de l’Arctique. À son bord, quelque trois cents chercheurs de vingt pays se relaient afin d’étudier les effets du réchauffement climatique.
Il s’agit « d’un événement majeur », « un rêve qui devient réalité », avait jugé le chef de la mission Mosaic, Markus Rex, lors d’une conférence de presse à Tromsø, quelques heures avant le départ du bateau. Il faut bien reconnaître qu’à ce jour, il n’y avait encore jamais eu d’expédition comparable dans le centre de l’Arctique.
Une logistique impressionnante
Ce périple inédit a nécessité des moyens colossaux – les frais de fonctionnement s’élèvent à eux seuls à environ 200 000 euros par jour, hors coût des instruments ou des chercheurs. Mosaic, pour Multidisciplinary drifting observatory for the study of arctic climate, (Observatoire multidisciplinaire de dérive pour l’étude du climat arctique) a été planifié sur un peu plus d’un an (390 jours) par l’institut Alfred-Wegener de Bremerhaven (nord-ouest de l’Allemagne), qui dirige l’opération. Tout au long du parcours, quatre brise-glace, en provenance de Chine, de Russie et de Suède, sont chargés de réapprovisionner le Polarstern et de permettre la rotation des équipes. Emprisonné dans la glace, le navire allemand, qui compte à son bord 50 membres d’équipage et 50 scientifiques, doit dériver en moyenne à une vitesse de 7 kilomètres par jour et parcourir en tout 2 500 kilomètres. Au total, ce ne sont pas moins de vingt nations et 600 experts qui participent à l’aventure : 300 se relaient à bord du Polarstern et 300 autres travaillent en arrière-plan pour rendre l’expédition possible.
Au plus près du pôle Nord
Le Polarstern doit rester pendant 60 à 90 jours à 200 kilomètres environ du pôle Nord géographique et à plus de 1 000 kilomètres de la terre ferme. Jamais un bateau ne s’est aventuré aussi loin en Arctique en hiver. Autant dire que les chercheurs ne devraient pas apercevoir beaucoup la lumière du jour. La nuit polaire, pendant laquelle le soleil ne se lève jamais au-dessus de l’horizon, dure en effet 150 jours, d’octobre à mars. Au royaume des ours polaires, mieux vaut cependant garder les yeux bien ouverts. C’est la raison pour laquelle six personnes, au moins, sont affectées exclusivement à la surveillance de ces animaux afin d’assurer la sécurité des scientifiques pendant qu’ils effectuent leurs travaux. Ce ne seront d’ailleurs pas les seules difficultés auxquelles ils seront confrontés, car avec l’hiver polaire, les températures peuvent descendre jusqu’à – 45 °C. Il faut donc s’attendre à devoir gérer toutes sortes de problèmes, y compris médicaux.
Réchauffement et crise sanitaire
Pour mieux comprendre la façon dont le changement climatique affecte la région et le monde entier, les experts observent et recueillent des données à la fois sur l’atmosphère, les nuages, l’océan (de petits robots téléguidés sont envoyés chaque jour jusqu’à 4 000 mètres de profondeur), la mer de glace et l’écosystème. « Aucune autre partie de la Terre ne s’est réchauffée aussi vite ces dernières décennies que l’Arctique », souligne Markus Rex sur le site internet de Mosaic. Bien qu’elle soit au centre du réchauffement global, la région restait très mal connue.
Sur le bateau, près de vingt nationalités différentes se côtoient. Heureusement, étant isolés depuis plusieurs mois, aucun des chercheurs à bord n’a été touché par le Covid-19. Même si beaucoup d’entre eux s’inquiètent pour leurs proches, tous peuvent néanmoins continuer à travailler sans avoir à prendre de mesures de précaution particulières. Mais la crise du sanitaire est toutefois venue perturber le déroulement du projet. Mi-mars, la Norvège ayant fermé son espace aérien, l’Institut Alfred-Wegener a dû annuler un des volets de l’expédition, sans être sûr qu’il pourra être reporté. Celui-ci consistait à prendre des mesures en plein hiver, à la fois dans l’air avec deux avions et sur la glace depuis le bateau. La troisième rotation n’ayant pu avoir lieu, décision a été prise de suspendre pour trois semaines la dérive du Polarstern, le temps de rejoindre un fjord du Svalbard, un archipel de la Norvège situé dans l’océan Arctique. Grâce à deux navires allemands, le changement d’équipage et de scientifiques a donc pu se faire mi-mai au Svalbard.
Accélération
Pour la suite, l’incertitude demeure au moment où sont rédigées ces pages. Les prélèvements et observations scientifiques sur la banquise continuent jusqu’en septembre. Mais cette dernière fond plus vite qu’attendu, et la dérive du bateau s’est accélérée. Or, « la glace de mer doit avoir au moins 1,5 mètre d’épaisseur, afin que l’infra-structure nécessaire puisse être mise en place à sa surface », précise le site de Mosaic. En septembre, le Polarstern devrait arriver près du détroit de Fram, entre le Groenland et le Spitzberg, et se libérer des glaces. En raison du réchauffement climatique, l’échéance devrait arriver plus vite que prévu et ceux qui attendent encore leur tour pour monter à bord du bateau ne peuvent être sûrs de rien.
© C I E M / Isabelle Coston
Site officiel de l’expédition (en anglais) : Mosaic-expedition.org.